Réforme des retraites : l'intervention de François Bayrou à l'Assemblée nationale

Publié le par Renaud

 

L'intervention de François Bayrou à la tribune de l'Assemblée nationale, mercredi 8 septembre, lors de la discussion du projet de loi relative à la réforme des retraites.

Script de l'intervention à l'Assemblée nationale :

 

M. François Bayrou. Monsieur le président, messieurs les ministres, la réforme est-elle nécessaire ?

 

M. Marcel Rogemont. Oui !

 

M. François Bayrou. Est-elle évitable ?

 

M. Marcel Rogemont. Non !

 

M. François Bayrou. À mes yeux, elle est nécessaire et elle est inévitable.

 

M. Marcel Rogemont. Nous sommes d'accord.

 

M. François Bayrou. La nécessité de cette réforme s'inscrit dans des chiffres. Je vais en donner deux : 279 milliards de pensions de retraites versés aux Français, 32 milliards de déficit. Ces deux chiffres signifient qu'à partir de la mi-novembre, on emprunte pour payer les pensions de retraites des Français. C'est injuste parce que cela reporte la charge sur les générations futures alors qu'on sait que ces dernières générations seront elles-mêmes grevées d'une dette démographique puisqu'elles auront à faire vivre beaucoup plus de retraités par actif qu'aujourd'hui.

 

Est-il imaginable de faire assumer ce déficit par l'impôt ? Michel Rocard a répondu à cette question de manière extrêmement virulente.

 

 

M. Marcel Rogemont. Et précise !

 

M. François Bayrou. Je partage son jugement. Dans France Soir du 24 juin, il dit qu’envisager de faire payer cette réforme par l’impôt serait « stupidissime » ; c’est l’expression qu’il emploie, et il parle même d’imbécillité.

 

M. Marcel Rogemont. En quelle année disait-il cela ?

 

M. François Bayrou. En 2010, le 24 juin 2010 précisément, dans France Soir ; vous pouvez retrouver l’article aisément.

 

M. Marc Dolez. Il s’adressait aux pingouins !

 

M. Alain Bocquet. Il avait pris un coup de froid.

 

M. François Bayrou. Ne soyez pas sévères ; vous étiez ses soutiens.

 

M. Alain Bocquet. Jamais !

 

M. François Bayrou. Je partage son jugement, car je pense que les régimes de retraites – mais nous aurons à aborder aussi cette question pour les régimes de sécurité sociale – doivent être équilibrés.

 

Si l’on exclut l’impôt, il reste deux possibilités : soit l’augmentation des cotisations, c’est-à-dire la baisse du pouvoir d’achat des salariés, soit la diminution des pensions.

 

Je n’écarte pas l’idée qu’il faudra un jour regarder du côté des cotisations…

 

M. Marcel Rogemont. Ah !

 

M. François Bayrou. …notamment en étudiant la proposition du parti socialiste, qui n’a pas été entendue…

 

M. Marcel Rogemont. Je vous remercie.

 

M. François Bayrou. …selon laquelle on pourrait augmenter de 0,1 pour cent par an pendant dix ans ou douze ans, à la fois les cotisations salariales et les cotisations patronales.

 

M. Marcel Rogemont. Tout à fait !

 

M. François Bayrou. Cette idée n’est pas à écarter mais il faut la traduire en termes simples et compréhensibles par tous et dire que cela entraînera une baisse du pouvoir d’achat des salariés.

 

Faut-il baisser les pensions ? Je crois que personne ici ne défendra cette idée.

 

M. Marc Dolez. Elles ont déjà baissé !

 

M. François Bayrou. Même s’il est vrai, cela a été dit à cette tribune, qu’elles ont baissé depuis des années.

 

M. Jean Mallot. Depuis 1993 !

 

M. Marcel Rogemont. Et elles vont baisser encore.

 

M. le président. Mes chers collègues, écoutez l’orateur !

 

M. François Bayrou. On peut discuter les chiffres mais c’est une réalité.

 

Si l’on envisage avec réserve l’augmentation des cotisations, si l’on écarte la baisse des pensions et la hausse de l’impôt, il reste une seule possibilité – c’est pourquoi j’ai dit que cette réforme était à mes yeux raisonnable – celle d’augmenter le nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités. Or nous ne pourrons y parvenir sans une véritable politique de l’emploi, sujet qui n’a pas été abordé jusqu’à maintenant (« Si ! Si ! » sur les bancs du groupe SRC), ce qui, à mon avis, est une lacune.

 

M. Marcel Rogemont. Nous, nous l’avons abordé.

 

M. François Bayrou. Cette question n’a pas été abordée par le Gouvernement.

 

M. Jean-Pierre Brard. Le Gouvernement est à côté de la plaque !

 

M. François Bayrou. Néanmoins, étant donné l’évolution de la vie, repousser de deux années, de soixante à soixante-deux ans, l’âge légal de départ en retraite au terme d’une évolution de huit années, me paraît raisonnable.

 

M. Marcel Rogemont. Pas pour les Françaises !

 

M. François Bayrou. Je crois que c’est aussi le sentiment d’une majorité de Français. Toutes les enquêtes le montrent.

 

M. Yves Nicolin. Tout à fait !

 

M. François Bayrou. Encore faudrait-il que l’on résolve un certain nombre de difficultés et que l’on corrige les injustices que ce texte contient.

 

Les difficultés ont été décrites par tous les orateurs ; je passerai donc rapidement.

 

D’abord, la pénibilité. Si quelqu’un sait comment prendre en compte la pénibilité, il mérite une ovation.

 

M. Jean-Pierre Brard. Bernard Thibault a fait d’excellentes propositions à ce sujet ; vous devriez en prendre connaissance.

 

M. François Bayrou. Les centrales syndicales et les représentants des entreprises se sont mis d’accord sur un certain nombre de critères que nous connaissons très bien – le travail de nuit, le port de charges lourdes, l’exposition à des substances chimiques cancérigènes –, mais ces critères sont très loin de couvrir toute la question.

 

M. Marc Dolez. Ce serait déjà une sacrée avancée !

 

M. François Bayrou. Pour ma part, je défendrai l’idée d’une caisse, à l’image de la caisse des accidents du travail, qui serait alimentée par les entreprises, charge à elles de définir les critères d’alimentation de cette caisse en fonction de la pénibilité des métiers qu’elles exercent. Cela relèverait de leur responsabilité.

 

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est notre amendement.

 

M. François Bayrou. Je préfère cette idée plutôt que d’imaginer la puissance publique fixant des critères de pénibilité.

 

M. Jean-Pierre Brard. Le bolchevik du Béarn ! (Sourires.)

 

M. François Bayrou. Ensuite, il y a le problème des polypensionnés. Vous en avez largement discuté ; il n’est pas simple.

 

Enfin, se pose la question des carrières longues.

 

Sur tous ces problèmes, des pistes existent mais ce texte nourrit une injustice majeure, dans la mesure où il fait financer le tiers de la réforme par les plus faibles des Français au regard de leur expérience professionnelle et de leur retraite.

 

M. Daniel Paul. Ah !

 

M. Marcel Rogemont. Je vous remercie de le dire.

 

M. François Bayrou. Il est inacceptable, pour quelqu’un qui a le sens de la justice comme tous ceux qui sont sur ces bancs (« Non ! Non ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR) – en tout cas comme tous ici voudraient l’avoir –, de faire financer la réforme des retraites par des gens – des femmes pour l’essentiel – qui n’auront pas pu cotiser le nombre d’annuités exigées et qui auront donc les retraites les plus faibles.

 

Permettez-moi de vous dire que lorsqu’ils entendent parler de « retraite à taux plein » les Français pensent que les personnes concernées arriveront, bien que n’ayant pas suffisamment d’annuités, à avoir des retraites complètes. C’est un mensonge et une faute de présentation. En effet, il ne s’agit pas, pour ces gens, d’avoir des retraites complètes ; il s’agit d’avoir le droit de faire valoir les annuités qu’ils ont acquises, même si elles sont en petit nombre, et d’avoir une retraite proportionnelle à ce nombre. (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)

 

Vous ne pouvez pas faire financer la réforme des retraites par les plus faibles des Français, notamment par les femmes qui ont arrêté leur carrière professionnelle pour élever des enfants. De toute façon, c’est un artifice de présentation parce qu’un très grand nombre de ces personnes dépendent d’autres caisses, des minima sociaux, du minium vieillesse, de la faculté qu’a leur entourage de les aider à passer ce cap difficile. En outre, on ne peut comparer les années situées entre soixante et soixante-deux ans et celles qui se trouvent entre soixante-cinq ans et soixante-sept ans. Les deux années qui suivent immédiatement le cap des soixante ans sont des années de pleine forme, ce qui n’est pas le cas de celles qui séparent soixante-cinq de soixante-sept ans, surtout quand on a eu une carrière chahutée.

 

Je considère donc qu’il y a là une injustice radicale. Si elle était corrigée, je serais prêt à soutenir une réforme que j’estime nécessaire et qui pourrait être équilibrée. Si elle n’était pas corrigée, je voterais contre ce texte.

 

Dernier point : alors que ce serait nécessaire pour la nation, vous n’avez pas présenté de réflexion sur ce que pourrait être une nouvelle architecture équilibrée du système de retraites. De plus en plus de gens, sur tous les bancs, de même que la CFDT qui en a encore parlé dans une tribune récente, défendent l’idée selon laquelle nous devrions avoir un système, géré par les partenaires sociaux, permettant à chaque Français de partir à la retraite à l’âge qu’il veut, selon ses choix de vie. Nous devrions y réfléchir, comme l’ont fait la Suède et l’Italie, et comme de nombreux pays vont être amenés à le faire. À nos yeux, ce système est le seul à même de sauver les principes d’une architecture par répartition. Si nous ne sommes pas capables d’envisager cette nouvelle architecture du système de retraites, nous manquerons au devoir qui est le nôtre.

 

Il manque donc un chapitre à cette réforme qui est nécessaire, mais qui est pénalisée et menacée par des injustices que nous devrions donc corriger tout en réfléchissant à ce que pourrait être la nouvelle architecture des systèmes de retraites pour la France. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Publié dans François Bayrou

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